Le parkour et le mental,

Voilà un sujet qui depuis mes débuts n’a cessé d’abreuver les anecdotes de chaque traceur que j’ai pu rencontrer. Car s’il est un sujet sur lequel tout pratiquant parvient à se mettre d’accord : la peur, nous y sommes tous confrontés.

Évidemment, bien qu’universel, ce sentiment demeure subjectif : suis-je sujet au vertige ? Ai-je peur de la chute ? De la blessure ? Mon cerveau a-t-il cette formidable capacité à me proposer 1000 scenarii catastrophes dans les secondes suivant un nouvel objectif envisagé ?

Autant de variables d’ajustement, et tant d’autres, qui vont faire la singularité de chaque pratiquant et leurs capacités plus ou moins naturelles à avancer à un rythme qui leur sera propre. Mais, et pour en revenir à ce qui nous intéresse, chacun parviendra fatalement à cette barrière qui le mettra seul face à ses doutes.

Cette fatalité n’est pas à craindre, pas plus qu’elle n’est à rechercher : elle est à considérer comme un élément intrinsèque à ce sport. Quiconque part dans l’optique de ne jamais avoir peur pourra, au mieux, stagner ou, au pire, réaliser que ce n’est pas une discipline qui lui convient. Et ce n’est pas un mal, c’est un constat à accepter.

Mais, dès lors que l’on se considère comme un traceur, un freerunneur, un adepte dévoué à cette passion du franchissement alors on accepte cet accord tacite qui revient à reconnaitre ses propres failles et à être déterminé à les dépasser quel qu’en soit le chemin à prendre, qu’il s’agisse de celui de la réflexion, d’une prise de temps de travail dédié à cette fin, d’une répétition inlassable d’un même mouvement voire un cumul de tous ces exercices harassants.

En vérité, la question se pose, quelle est la réelle utilité de se mettre dans cet état de stress inutile et quelque part absurde ?

Et, en vérité là encore, la plupart des grands sportifs ou des grands entrepreneurs ont déjà la réponse : s’améliorer, encore et toujours, pour dépasser ses capacités originelles, dépasser son jeu, son être, son adversaire, encore et encore.

Au final, la futilité n’apparait que dans le regard de celui qui ne peut comprendre.

Pourtant, malgré cette compréhension interdisciplinaire, demeure une part non négligeable d’incompréhension même au sein des initiés : la prise de risque.

Quelle utilité de franchir ce mur, de sauter ce vide ? Quelle finalité ? Parfois au péril de sa santé ? Au péril de sa vie ?

C’est à ce moment précis que prend toute la saveur de cette réponse inéluctable : pouvoir surmonter ses peurs au terme d’un long travail mental.

Car non, nous ne sommes pas fous, si nous réalisons un geste extrême c’est avant tout parce que nous avons la certitude d’en être capables, mais il nous faut surmonter la peur. Et à cette réussite, découle une joie sans nom qui mêle euphorie, rire, soulagement, fatigue ultime des réserves d’énergie asséchées. Nous nous sommes surpassés, la victoire est totale, nous avons le mental !

Mais, l’avons-nous vraiment ?

Car s’imposer un but et l’atteindre reste avant tout une histoire de choix personnel. Rien ne nous force à faire ce saut en dehors de notre envie de l’accomplir de base. Et finalement, tout exceptionnel que puisse être notre accomplissement, il n’a rien de fortuit. Nous l’avons façonné de A à Z.

Alors est-ce vraiment ça « avoir du mental » ?

Nous nous targuons de faire un parallèle sport-vie usuelle : « si je parviens à franchir cet obstacle alors j’aurai confiance en mes capacités et pourrai affronter plus facilement mes problèmes quotidiens ». Plutôt rationnel en un sens mais face à un phénomène inconnu on perd ses moyens, c’est connu. Un champion de boxe, roi des rings, peut mettre KO pratiquement n’importe qui mais reste-t-il capable de le faire face à un inconnu qui le menace d’un couteau ? Un traceur chevronné s’affranchit de toutes les barrières mises sur sa route mais est-il en capacité d’en faire de même lorsqu’on lui apporte une annonce dramatique ?

Comment réagirions-nous face à l’inconnu ? Saurions-nous faire face ?

Nous aimons courir, grimper, sauter, que faire si une chute nous menait au fauteuil roulant nous interdisant définitivement l’accès à notre passion : resterions-nous à ressasser nos souvenirs qui s’effacent, les larmes aux yeux ou trouverions-nous la force, le mental pour avancer ?

Nous sommes, je nous le souhaite, tous loin d’avoir à faire face à ce genre de dilemme. Et pourtant il nous est possible, à tous et quasiment sans risque, dès aujourd’hui de réaliser si nous avons au moins un peu de ce qu’il faudrait pour faire face à une adversité implacable.

Il nous est simplement demandé, aujourd’hui, de prendre sur nous, d’accepter de rester chez nous pour permettre à nos proches, à nos voisins, aux inconnus du bout de la rue comme à ceux du bout du monde d’éviter de se retrouver inutilement dans une étape de leur vie où ils auront à faire face.

Pour préserver la santé de chacun, sachons rester chez nous malgré la difficulté que cela représente, le sentiment d’isolement, l’étouffement, la fatigue excessive quand bien même on ne fait rien… Sachons être fort pour les autres, sachons être fort mentalement, sachons être fort pour être utile.

De mémoire de traceur, jamais aucun effort ne m’aura demandé aussi peu de mouvements tout en étant tellement exigeant physiquement. Accepter pour des inconnus comme pour soi-même cette inactivité, cette passivité quand tout en nous nous hurle de nous bouger, et si c’était ça – en partie – avoir du mental ?

Manu.

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